Interview The Imaginary Suitcase
02 déc. 2013Après la kronik, voici venu le temps de l'interview en compagnie de Laurent,
initateur du projet The Imaginary Suitcase, histoire de prolonger un peu le rêve...
(Interview réalisée par mail)
Kaput Brain : pour commencer cette interview Laurent, pouvez-vous me décrire rapidement votre parcours musical ?
Laurent : quand j’étais un gamin innocent en 1989, j’ai fondé avec deux potes du village où j’habitais à l’époque un groupe nommé Moïse et les Manches de Pioches, dans lequel je tenais la basse. C’était radicalement mauvais (on n’aurait même pas été capables de reprendre un morceau des Ramones !), mais on s’est énormément amusés et ça m’a inoculé le virus… En 1992, après plusieurs tentatives avortées de monter un groupe un peu plus crédible, un ami commun m’a mis en contact avec le sextet arty-post-punk La Vierge Du Chancelier Rolin, qui cherchait un chanteur, j’ai sauté sur l’occasion. LVDCR était un groupe assez bien fichu, ambitieux musicalement et professionnellement, à situer quelque part entre And Also The Trees, les Legendary Pink Dots, Echo & the Bunnymen et les trucs les plus accessibles de Wim Mertens. On a pas mal tourné en Belgique, on a sorti deux albums, mais vers 1998, ça a commencé à se désagréger et ça a fini par tourner au vinaigre. Des conneries d’ego, un management pas à la hauteur, et l’erreur mortelle de beaucoup de groupes : croire que puisqu’on faisait de la bonne musique, on méritait de marcher. Il faut dire aussi qu’au début des années 90, en Wallonie, il n’y avait pour ainsi dire aucun groupe rock. C’était avant que Dour ne fasse bouger les choses, mais on a vraiment pas été aidés par notre propre région, qui semblait ne pas pouvoir imaginer qu’un groupe belge puisse ne pas être flamand.
Ensuite, début 1996, j’avais été invité par mes amis Yannick et Benjamin à devenir le chanteur de leur groupe folk Ceilí Moss. Au départ, je pensais que ce serait juste une récréation durant une période un peu creuse pour LVDCR, mais Ceilí Moss existe toujours aujourd’hui et prépare d’ailleurs une tournée pour ses 20 ans. On a sorti 4 albums autoproduits, assuré 300 concerts en Belgique, Pays-Bas et un peu le nord de la France, et surtout, on a bien évolué d’un « average Celtic band » vers quelque chose de plus élaboré, plus folk-rock entre Louise Attaque et les Pogues. Enfin, c’est en 2010 que l’envie de jouer solo a fini par se concrétiser.
KB : quelles sont les raisons qui vous ont poussé à monter ce projet solo ?
L : je suis l’un des principaux compositeurs au sein de Ceilí Moss, et forcément, il y a des chansons qui ne sont pas retenues, soit parce qu’elles ne collent pas au son du groupe, soit parce que certains membres n’y accrochent pas. Au bout d’un moment, je me suis retrouvé avec un petit paquet de chansons que j’avais envie de faire exister. Alors j’ai acheté un Tascam pour faire des démos à la maison, j’ai enregistré un premier truc, très mauvais, un deuxième, un peu meilleur, et comme les réactions d’amis, de blogueurs et d’autres musiciens étaient très encourageantes, j’ai décidé de pousser l’expérience plus loin. Jusqu’où ? Le diable seul le sait !
Le nom Imaginary Suitcase, c’est parce que j’avais appelé la toute première démo « Laurent & the imaginary friends ensemble », juste un clin d’œil au fait que je l’avais fait tout seul. J’aimais bien le « imaginary something », alors j’ai fait travailler mes petites cellules grises et j’ai accroché à l’idée d’une valise imaginaire dans laquelle chacun transporte ses rêves, ses illusions perdues, les images de la vie comme on aurait voulu qu’elle soit, ses chagrins et ses traumatismes aussi. Mes chansons sont souvent la mise en forme d’une humeur, d’une émotion, d’un élan incontrôlable venu des tripes, alors ça me semblait adapté.
KB : quels sont les artistes qui vous inspirent particulièrement ?
L : Morrissey, avec ou sans Smiths, Nick Cave avant qu’il ne devienne pleurnichard, 16 Horsepower et Wovenhand, Echo & the Bunnymen, Jesus & Mary Chain, Patti Smith, les Doors, David Sylvian, Suzanne Vega, Gavin Friday, Siouxsie, Brendan Perry, Rowland S. Howard… Ca a l’air disparate comme ça, mais ils ont en commun une sorte d’incandescence tranquille, qui ne se mesure pas forcément en décibels. Ce sont des gens qui te mettent un stade à genoux en murmurant. A coté de ça, je suis également fan de trucs comme Nine Inch Nails ou Einstürzende Neubauten, mais justement, c’est quand ils s’autorisent un truc très dépouillé que Trent Reznor ou Blixa Bargeld sont les plus impressionnants.
KB : au-delà de la folk, les musiques traditionnelles, notamment irlandaises je crois, semblent également vous inspirer. D’où puisez-vous cette source d’inspiration ?
L : c’est par Ceilí Moss que je suis venu au folk. Et c’est vrai que j’ai particulièrement accroché au répertoire celtique. Le folk et le trad, la plupart du temps, désolé d’être cru, c’est de la musique pour faire danser les paysans aux mariages et aux fêtes du village. Il n’y a d’ailleurs aucun mal à cela, mais je trouve qu’il y a chez les irlandais une profondeur et une recherche lyrique qu’on ne retrouve pas dans la musique traditionnelle d’autres régions d’Europe. Peut-être à cause de ce passé d’oppression et de misère qui a été le leur si longtemps, ou parce que les irlandais ont continué à faire vivre et évoluer leur musique folk tout au long du 20e siècle tandis que dans le reste de l’Europe, il était soit ignoré soit fossilisé dans une reproduction à l’identique qui l’a réduit à l’état de kitsch, mais la puissance lyrique et évocatrice d’une chanson comme « the foggy dew » (un morceau absolument déchirant sur la révolte de Pâques 1916, connue sous le nom de Bloody Easter, dont Alan Stivell notamment a fait une très belle version) n’a – à mon avis – guère d’équivalent.
KB : la poésie n’est pas en reste également, vous qui êtes par définition voyageur et rêveur ?
L : voyageur, j’aimerais l’être davantage, alors sans doute que oui, je réalise par l’imagination les voyages que je ne peux pas faire en vrai. La poésie, je ne sais pas, c’est un mot dont j’ai fini par me méfier à force de l’entendre mis à toutes les sauces… Tant qu’à chanter des paroles, autant qu’elles soient les moins connes possibles, mais je ne me mettrais jamais en balance avec Morrissey, Suzanne Vega ou Neil Hannon (Divine Comedy). Oui, je sais, ce sont des références anglophones, mais c’est comme ça. La majeure partie de la chanson française me passe totalement au-dessus de la tête, notamment à cause de la prétention littéraire insupportable de beaucoup de paroles gavées de poncifs neuneus et de gainsbourgeries à deux balles, et du fait que la plupart des chanteurs français, comme vocalistes, sont carrément exécrables, (des noms ? en privé, je tiens pas à avoir les éditorialistes de Libé sur le dos… quoique, une bonne polémique c’est le moyen le plus rapide de me faire connaître, non ?) à la notable exception de Dominique A, de William Sheller, de Thiéfaine et des Bérurier Noir dont je reste un fan acharné. Je suis en train de changer d’avis sur Benjamin Biolay aussi, j’apprécie de plus en plus.
KB : votre premier album Full Moon Fever est sorti en septembre dernier. Pouvez-vous revenir sur sa genèse ?
L : avec moi, les choses ne sont pas compliquées. J’enregistre des chansons, quand j’en ai une quinzaine, je décide d’un ordre, je réenregistre ce qui doit être amélioré, et j’envoie sur le net. Bon, je fais quand même gaffe à ce que l’ensemble soit un peu cohérent mais à la base, c’est pas plus tarabiscoté que ça.
KB : les compositions de cet album sont étonnement minimalistes. Un choix artistique ou les contraintes d’un projet solo ?
L : un peu des deux. L’une des raisons qui m’ont poussé à me lancer en solo, c’est aussi le fait que dans Ceilí Moss, je ne peux que rarement faire dans la nuance vocalement, on y pratique une musique pêchue, et la voix doit faire passer cette énergie aussi. Alors comme j’ai quand même égoïstement envie de m’écouter chanter, je fais en sorte de laisser la voix au centre de mes compositions et de pouvoir utiliser toutes les nuances de tonalité ou d’intensité dont je suis capable. Mais il est aussi vrai que je ne maîtrise qu’un certain nombre d’instruments, ce qui limite mes possibilités d’arrangements, à moins de faire appel à des invités.
Je suis productif. En bien ou en mal, j’ai des idées de chansons en permanence. Alors comme le temps dont je dispose est limité, j’ai le choix entre deux frustrations : me focaliser sur quelques morceaux et en livrer des versions bien produites, léchées, ou enregistrer plus de chansons, mais ne pas pouvoir consacrer énormément de temps au fignolage de chacune. La deuxième option est à mon goût la moins frustrante et de toute façon, je crois qu’une production à un million d’euro ne vaut rien face à une interprétation honnête et, oserais-je dire, virile.
KB : comment s’est opéré le choix d’instrumentaliser A une passante, poème de l’illustre Baudelaire ?
L : « A une passante » est un de mes textes favoris de Baudelaire qui est, à mon avis, ce qu’on a fait de mieux en langue française avec Brassens (Natacha Polony, t’es pas toute seule). Dans les années 90, un groupe français appelé Little Nemo en avait sorti une adaptation sur leur album Sounds in the attic (superbe album, d’ailleurs) et je me suis juré d’en faire une moi aussi. Il m’a fallu du temps pour trouver une mélodie qui colle bien à la rythmique des vers, mais j’en suis assez content.
KB : quelques artistes, dont Cécile Gonay, participent à votre album. Comment se sont concrétisées ces collaborations ?
L : Cécile, c’est une vieille histoire, on a sympathisé il y a pas mal d’années quand elle jouait dans le groupe SoySoy puis on s’est perdu de vue. Elle a commencé une carrière solo sous le nom de Seesayle (hautement recommandé) et on a renoué le contact quand je suis allé la voir à un de ses concerts à Bruxelles. Depuis, on se croise rarement (elle habite dans une région assez reculée des Ardennes) mais on s’écrit régulièrement, et quand j’ai eu envie d’une voix féminine pour Bonny at morn, j’ai tout de suite pensé à elle. On a enregistré ça en une heure à peine, suivi par le violon sur « It is he ». Jean-François Durdu, qui joue du violon sur « A une passante » et de l’alto sur « Every little thing », a joué dans Ceilí Moss durant quelques années avant d’être débauché par Camping Sauvach (qui n’existe plus aujourd’hui, mauvais choix JF ;p). On est restés amis et là aussi, le choix m’a semblé évident. Je lui ai envoyé des démos par courriel, il est venu enregistrer chez moi un après-midi, autour d’un verre de vin et d’un peu de papotage, et je suis sûr que ce ne sera pas la dernière fois.
Cécile Gonay
KB : quels sont vos projets à venir ?
L : Il y a encore quelques concerts prévus dans la cadre de la promo de « full moon fever », à Nivelles, Anvers et Bruxelles. Je travaille par ailleurs sur de nouvelles chansons. Là, il y en a 5 qui sont dignes d’être publiées, et une dizaine d’autres qui sont encore à des stades variables entre à peine une esquisse ou « c’est presque ça mais il manque encore un je ne sais quoi ». Si je tiens le rythme, je devrais sortir quelque chose de nouveau du côté de mars ou avril 2014.
KB : un p’tit mot pour conclure ?
L : always look on the bright side of life! (Référence: La vie de Brian des Monty Python pour les incultes…)