Ils sont passionnés de musique, mais pas forcément musiciens. Indispensables au réseau musical indépendant, ils s'activent A l'ombre des scènes, pour que les décibels jaillissent.

Épisode test de cette nouvelle rubrique de Kaput Brain webzine créée pour sa dixième année d'existence, Flo s'est engagé volontiers comme cobaye pour répondre aux questions de votre rédacteur préféré, afin de présenter les Concerts de la Colline et le festival Hillfest, projets moteurs de la scène locale de Nancy.

Crédit photo : Rémi Tan

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Kaput Brain webzine : Salut Flo. Avant d’évoquer les Concerts de la Colline et le festival Wild Hillfest, peux-tu présenter dans les grandes lignes ton parcours musical ?

Flo : Salut Alan. A 20 ans, avec des amis, on a créé ce qui était mon premier groupe, Anathème. On a été actifs pendant presque 15 ans, sorti plusieurs disques, et donné des concerts partout où c’était possible... En 2016, après avoir rencontré le groupe anglais Stems, on a fusionné nos deux formations pour une création éphémère, The Chapel of Exquises Ardents Pears, qui a été une aventure superbe, musicalement et humainement.


 

 

Depuis, motivé par cette collaboration, j’ai créé une sorte de collectif baptisé Founding our own Glorious Chapels. Cette structure regroupe les différentes activités musicales dans lesquelles je suis impliqué ainsi que toutes les personnes qui y participent :

- Les Chapelles : ce sont des créations, éphémères ou non, regroupant des musiciens venant de cultures et d’univers musicaux différents, et qui, dans la majorité des cas, ne se connaissent pas avant notre première rencontre.

- Les Concerts de la Colline : ce sont des concerts privés que j’organise depuis 2013.

- Le Wild Hillfest : c’est un festival que nous organisons avec mes voisins depuis 2018.

- Et d’autres projets en cours de création ou en réflexion…

Founding our own Glorious Chapels sur scène

KB : Peux-tu nous présenter les principes des concerts de la Colline ?

F : Les Concerts de la Colline sont des concerts que j’organise dans un cadre privé, chez moi. J’accueille aussi bien des artistes en tournée que des musiciens régionaux, dans une ambiance que je souhaite bienveillante et chaleureuse. Le public est restreint, composé de proches et d’amis « par extension ». Les musiciens, la plupart du temps, dorment à la maison. C’est à chaque fois, à mes yeux, une sorte de grosse réunion de famille, avec des cousins lointains qu’on rencontre pour la première fois…

KB : Pourquoi cette appellation ?

F : A Nancy, il y a une colline. J’habite dessus. Les concerts organisés ici se sont donc naturellement nommés Les Concerts de la Colline. Par extension, ma maison est rapidement devenue « La Colline », pour les amis habitués des concerts organisés ici.

KB : Comment t’es venu l’idée de ce projet ?

F : A Nancy, comme dans de nombreuses villes, beaucoup de lieux d’expression ont disparu depuis dix ans. Il est devenu compliqué pour les artistes de se produire ici, surtout quand ils ne sont pas de la région.

Avec mon ex-compagne, nous avions été invités à un concert en appartement. On a adoré ce concept qu’on ne connaissait pas. Et on s’est dit qu’on pouvait en organiser chez nous, ayant déjà une salle de répétition insonorisée dans notre maison. Le premier concert qu’on a organisé était celui d’un groupe d’amis, qui répétaient chez nous, et n’avaient jamais joué en public. C’est un peu parti d’une blague, d’un défi, et on a adoré ça.

Depuis, une quarantaine de concerts ont été organisés ici, et ce qui n’était qu’une « blague » au départ a pris un véritable sens à mes yeux, dans le sens où je suis convaincu que les échanges, le partage, la culture, sont essentiels à notre société. J’ai l’impression, en organisant ces concerts, d’apporter, avec les gens présents et les artistes qui viennent se produire, notre modeste grain de sable à un monde un peu plus ouvert et aimant.

KB : Ayant moi-même fréquenté les lieux, je sais que les concerts se déroulent dans un local de répète aménagé chez toi. Comment s’organise cet espace restreint pour les musiciens et le public ?

F : Oui, Baron Nichts s’est produit à la maison, et c’était son premier concert si je me souviens bien… C’est d’ailleurs un des aspects qui me tient particulièrement à cœur : accueillir aussi bien des groupes bien installés dans la scène musicale que des projets naissants, qui ont besoin d’expérimenter leur univers en public.

Au départ, la capacité limitée du local (une trentaine de personnes), me paraissait être une contrainte. Mais finalement, cela fait tout le charme, selon moi, de ce type d’évènement. Tout le monde, musiciens et public, se retrouvent ensuite dans le salon pour discuter, boire un verre ensemble, échanger, partager. Ça créé un lien intime unique.

Aperçu du local : crédit photo Emilie Zoé

KB : Pourquoi avoir aménagé ce local chez toi ?

F : Pour pouvoir faire autant de bruit que souhaité sans déranger mes voisins, en répétant avec Anathème, puis avec les Chapelles. Je n’ai rien aménagé de particulier pour Les Concerts de la Colline. J’essaye juste d’améliorer la décoration, petit à petit, pour tenter de donner le sentiment aux musiciens et au public d’être dans une vraie petite salle concert plutôt que dans un garage.

KB : Comment réalises-tu la programmation des concerts ? Comment les groupes peuvent-ils proposer leur candidature pour venir jouer chez toi ? Reçois-tu déjà beaucoup de demandes ? Si, oui comment sélectionnes-tu les artistes ?

F : La programmation se fait assez naturellement, dans le sens où je ne me considère pas comme « programmateur », et que les demandes que je reçois viennent d’artistes que je connais déjà, ou qui sont des amis de personnes que je connais. Les Concerts de la Colline sont, dans la grande majorité des cas, des concerts pour dépanner les musiciens qui me contactent, et non un souhait de ma part de programmer des dates.

Pour la sélection, le critère principal pour moi est que le groupe ou l’artiste soit dans le même état d’esprit que le mien et que celui des habitués des concerts ici. Les notions de partage et d’échange sont primordiales. Un concert dans une maison est différent d’un concert dans un club ou une salle. Le moment du concert n’est finalement pas grand chose, comparé au temps passé ensemble, à l’accueil, l’installation, au repas, à la nuit sous le même toit, au petit-déjeuner, etc… Dans la majorité des cas, les artistes me contactent sur recommandation d’amis, ou de groupes ayant déjà joué ici. Ils ont déjà une idée de la démarche et y adhèrent. Et en quelques lignes de discussion, il est assez facile de sentir si le courant passe.

C’est important pour moi, car c’est ce qui me garantit que les artistes y trouveront leur compte, et le public également. Et donc moi aussi, par la même occasion… C’est pour cette raison qu’il n’y a pas « d’adresse » ou postuler pour venir jouer ici. Le fonctionnement actuel fait que tous les concerts ont été de superbes moments, sans exception. Il n’y a aucune raison de changer…

Pour ce qui est de l’aspect musical, c’est un peu moins important à mes yeux. Je « fais au cœur ». Et selon mes disponibilités personnelles également…

KB : Suite aux soirées régulières que tu proposes, tu as lancé il y a maintenant deux ans le Wild Hillfest. Peux-tu le présenter en quelques mots ?

F : Le Wild Hillfest, c’est un festival organisé, toujours dans un cadre privé, avec mes voisins. Deux maisons, deux scènes, un public composé de proches, et des amis venant se produire devant eux.

Affiche de la deuxième édition du festival

KB : Pourquoi ce nom ?

F : Le Hillfest fait simplement référence à la Colline. Et Wild, parce qu’avec mes voisins et la clique qui nous accompagne, on aime bien penser qu’on est un peu des Pirates.

KB : Pourquoi ce festival alors que tu proposes déjà une programmation régulière ?

F : Le festival est né de l’envie de pousser plus loin le concept des concerts à domicile, et de faire quelque chose le plus inédit possible. J’aime penser que les idées folles sont souvent les meilleures. Celle-ci me trottait en tête depuis un moment…

Et j’ai l’immense chance d’avoir des voisins un peu fous, qui m’ont proposé de s’engager avec moi dans cette aventure avant même que je ne leur demande.

Au final, ce festival est un évènement bien distinct et totalement complémentaire des Concerts de la Colline.

KB : La programmation est-elle différente des concerts proposés le reste de l’année ?

F : Il y a une différence quant à la façon de faire. Pour le festival, nous contactons les musiciens que nous souhaitons programmer, alors que Les Concerts de la Colline résultent de demandes émanant d’eux.

Les contraintes inhérentes au festival font que les musiciens programmés, pour la majorité d’entre eux, sont basés dans la région et connaissent déjà le concept des Concerts de la Colline.

KB : Comment se sont déroulées ces deux premières éditions ? Combien de groupes et spectateurs ont déjà participé ?

F : On a organisé la première édition en 2018, sur une journée, avec 7 groupes. Et la seconde en 2019, sur deux journées, avec 12 groupes.

Je ne suis pas bien placé pour évaluer la réussite ou non de ce festival… J’ai tout de même mes indicateurs, qui sont assez subjectifs… Mes voisins sont heureux de participer à cette aventure, alors qu’ils ne viennent pas de la scène musicale. Plusieurs musiciens qui ont joué lors de ces deux éditions ont proposé leur aide pour l’organisation des prochaines éditions. J’ai vu beaucoup de sourires sur les visages des gens présents. Et nos amis nous poussent à organiser un troisième Wild Hillfest en 2020…

KB : Les Concerts de la Colline et le festival Wild Helfest s’inscrivent dans le cadre des concerts privés, concept qui se développe beaucoup ces dernières années. Penses-tu que ta démarche pallie aux difficultés rencontrées par les bars pour organiser des concerts et aux programmations policées des SMAC ?

F : Je pense que le concept des concerts privés s’est popularisé par manque de lieux d’expression pour les musiciens. Donc, il y a un lien avec ce que tu évoques. Par contre, à mes yeux, les concerts privés, en se développant, ont acquis leur propre identité et leur propre raison d’être. Il y a quelques années, alors que j’organisais déjà Les Concerts de la Colline, je trouvais triste que des musiciens soient amenés, faute d’autre choix, de venir jouer dans des appartements ou des maisons. Aujourd’hui, je vois ça comme une démarche totalement assumée de la part d’une majorité d’entre eux. Et je vois plus les concerts privés comme une sorte de « complément de gamme » à ceux organisés dans les Cafés-concerts, les SMAC, les squats et autres.

KB : Tu as sorti il y a quelques jours une compilation de trois CD regroupant l’essentiel des artistes venus jouer chez toi. Pourquoi ce support et quelles sont tes motivations pour un tel projet ?

F : La première raison est très égoïste : je voulais fabriquer un souvenir « physique » pour mes vieux jours, et pour mon fils, qui voit défiler de nombreux musiciens dans sa maison. J’aime les CDs et les Vinyles, les artworks, les livrets, etc… Je n’arrive pas à me faire à la musique dématérialisée…

La seconde raison, c’est que je voulais également un souvenir pour les amis qui viennent régulièrement aux concerts à la maison. Certains sont venus à quasiment tous.

Ce triple-album, Songs from Friends to Friends, regroupant 25 artistes s’étant produit de 2013 à 2018, nous rappelle des moments d’échange qu’on a partagé ensemble pendant 5 ans. Et c’est parfois émouvant…

Ce disque reste à portée confidentielle, il n’a pas pour vocation d’être diffusé au-delà de notre cercle de proches.

 

KB : Je sais que les Concerts de Colline constituent pour toi une aventure autant musicale qu’humaine. Quelles relations entretiens-tu avec les musiciens après leur passage chez toi ?

F : A mes yeux, l’art en général, et la musique en particulier, ne sont que des outils, des prétextes, pour provoquer des échanges et du partage. La musique est ma passion, mais, finalement, elle n’a pas d’importance. Ce qui compte, ce sont les gens, et les interactions entre nous tous.

Quand les musiciens viennent à la maison, ils entrent dans ma sphère privée, rencontrent mes amis, ma famille. Ca créé un lien immédiat. Plusieurs de ces musiciens sont devenus des amis proches. Qu’ils soient de la région ou d’autre pays.

Le premier passage des anglais de Stems à la Colline a donné naissance à la première chapelle, The Chapel of Exquises Ardents Pears. Plusieurs musiciens rencontrés à la maison ont intégré les autres chapelles. Certains sont devenus bénévoles pour le Wild Hillfest. D’autres se proposent de cuisiner pour les groupes lors des Concerts de la Colline, etc.

Une sorte de communauté s’est créée en quelques années autour des Concerts de la Colline. Je la trouve belle, bienveillante, et je suis ravi de la voir grossir, concert après concert.

La compilation Songs from Friends to Friends et le collectif Founding our own Glorious Chapels en ont tiré toute leur raison d’être.

KB : As-tu une anecdote précise à raconter à ce sujet ?

F : Je pourrai te raconter plein de choses… Je pense, entre autres, aux Mexicains de Vyctoria qui ont créé une salle de concert à Mexico, 316centro. Ils m’ont écrit quelques mois après leur passage à la maison pour me dire que ce qu’ils ont vu en Europe lors de leur tournée, et notamment à la Colline, les a inspirés à créer ce lieu, qui, depuis, est extrêmement actif avec une programmation incroyable.

Les Allemands de Lückenbüsser Konzerte ont, de la même façon, créé les Lückenbüsser Konzerte à Offenbach. Le batteur d’Anozel est en train d’aménager un lieu dans les Vosges, ainsi que Damien, un habitué des Concerts de la Colline, qui retape une grange. Le guitariste de Mohawk, lui, a créé son festival, le Boux’Fest. Et une partie de la clique du Wild Hillfest devrait être bénévole pour l’aider pour la prochaine édition.

KB : As-tu pensé à faire évoluer les concerts de la Colline et le festival Wild Helfest ? Si oui, sur quels aspects ?

F : Les faire évoluer, non, pas vraiment. Ce sont deux activités bien distinctes au sein du Collectif, qui répondent chacune à des envies précises et différentes. Et surtout, j’ai le sentiment qu’elles apportent beaucoup de plaisir aux personnes qui y assistent, aux musiciens, et aux organisateurs. Je ne vois pas vraiment de raison de les faire évoluer.

De la même façon que le Wild Hillfest est né de l’envie d’exploiter différemment le principe de base des Concerts de la Colline, d’autres projets verront certainement le jour dans les années à venir, sur la base de nouvelles envies, dérivées ou non des projets existants du Collectif. Ce seront des branches supplémentaires dans le Collectif, mais ne remplaceront pas celles déjà existantes.

KB : Quels sont les prochains groupes qui vont se produire bientôt dans ton local ?

F : Les prochaines dates sont en cours de planification. Il y a aura au moins deux ou trois concerts dans le courant du premier semestre de 2020 avec des groupes déjà passés par la maison les années passés.

Où est-il possible sur les Internets de retrouver toutes les infos concernant Les Concerts de la Coline et le festival ?

On partage quelques infos au sujet de ces activités sur la page Facebook du collectif, Founding our own Glorious Chapels.

Le caractère privé de ces concerts ne me permet malheureusement pas de communiquer plus dessus.

KB : Un dernier mot pour conclure l’interview ?

F : Tout d’abord, un joyeux anniversaire à Kaput Brain Webzine. Ensuite, merci Alan pour l’intérêt que tu portes aux Concerts de la Colline et que tu me témoignes via cette interview, ça me touche. Et pour conclure, j’invite tout le monde à soutenir les artistes, connus ou non, les lieux d’expression, et tous les passionnés qui s’activent pour faire vivre la culture libre et indépendante. Et je souhaite plein de larsens, d’amour et de bienveillance à tous.
 

Interview réalisée par mail en décembre 2019.
Baron Nichts

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