A l'ombre des scènes #2 : Eglantine - Totoromoon
13 avr. 2020Ils sont passionnés de musique, mais pas forcément musiciens. Indispensables au réseau musical indépendant, ils s'activent A l'ombre des scènes, pour que les décibels jaillissent.
Églantine anime depuis huit ans maintenant son blog musical Totoromoon. Pour cette deuxième interview de la nouvelle rubrique de Kaput Brain webzine, elle évoque son activité de blogueuse et d'écrivaine au prisme de sa passion pour le post-rock et ses dérivés.
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Kaput Brain webzine : Bonjour Églantine. Merci de te prêter au jeu des questions pour Kaput Brain webzine. Tout d’abord, avant d’entrer dans le vif du sujet, peux-tu présenter en quelques mots Totoromoon ?
Églantine : Bonjour Alan, je suis très heureuse de pouvoir faire cette interview, merci de me l’avoir proposée. Totoromoon est le nom du blog de musique que j’ai créé et que je tiens toute seule depuis plusieurs années, après avoir d’abord participé à un webzine collaboratif. C’est ma deuxième vie, celle que je vis la nuit, après mes journées comme bibliothécaire.
KB : Comment t’es venu l’idée de ce blog ? Depuis quand existe-t-il ?
E : La musique tient une place très importante dans ma vie. J’ai commencé le piano très jeune, et développé un goût prononcé pour la musique classique, la musique de film puis toutes sortes de courants musicaux dérivés du rock comme le post-rock qui est un genre que j’aime particulièrement. Je passe énormément de temps dans les salles de concerts, je trouve que la musique n’a pas sa pareille pour toucher l’âme. J’ai d’abord contribué pendant quelques années à un webzine musical collaboratif, puis j’ai eu envie de créer mon propre blog, pour plus de liberté, et pour pouvoir donner un ton plus personnel à mes articles. Totoromoon existe depuis 2012. Grâce à lui, je peux conjuguer mon amour de l’écriture et mon amour pour la musique. Il me permet d’être en relation directe avec des artistes, des responsables de labels, des attachés de presse, d’avoir des échanges souvent passionnants, de faire régulièrement de belles découvertes et de les partager à travers mes articles. Il m’a également permis de faire de très belles rencontres humaines, dont certaines ont débouché sur de vraies amitiés.
KB : Pourquoi ce nom et cette référence à l’univers de Miyazaki ?
E : Je suis amoureuse de l’univers d’Hayao Miyazaki depuis toujours, et Mon Voisin Totoro est le film d’animation que je trouve vraiment le plus émouvant. Un film à la fois ancré dans le réel et plein de magie et de poésie, avec différents niveaux de lecture passionnants à tout âge. Quand je l’ai découvert, ma maman était à l’hôpital, et je m’occupais de mes frère et sœur à la maison, il a immédiatement résonné en moi. J’aime cet univers à la fois onirique et sensible, propice à l’évasion, très attaché au respect de la nature, et riche de bienveillance, de tendresse et de partage. Je trouve qu’il correspond non seulement à la musique que j’aime écouter, mais aussi aux valeurs que j’ai envie de véhiculer avec mon blog.
KB : Ton blog se concentre essentiellement sur le post-rock. Comment est née cette passion pour ce registre musical en particulier ? Qu’évoque-t-il pour toi ?
E : Ma passion pour le post-rock est née il y a près de 20 ans, alors que je tombais amoureuse d’un album de Sigur Rós, sans savoir que c’était du post-rock. Puis j’ai découvert Explosions In The Sky, Godspeed You! Black Emperor, This Will Destroy You et Mono. Là, j’ai compris ce qu’était ce genre que j’aimais déjà sans le savoir. Un genre parfait pour les rêveurs et rêveuses sensibles comme moi. J’aime son utilisation détournée des instruments traditionnels du rock, ses guitares atmosphériques, ses constructions mélodiques en nappes progressives allant de douceurs en explosions, et son travail extraordinaire sur les textures sonores. J’aime aussi l’influence qu’a sur lui la musique classique, et ses longues compositions tendues sur le fil d’une sensibilité toujours à fleur de peau. J’aime enfin le fait qu’il parle un langage universel, celui de la musique sans barrière de langue, puisqu’une grande majorité des groupes de post-rock ne chante pas. J’ai aussi découvert grâce à mes échanges et partages liés au blog, que les artistes et amateurs de post-rock constituent une petite communauté habitée par la gentillesse et la bienveillance, qualités que je chéris par-dessus tout.
KB : Au-delà du post-rock, quelles sont les autres registres musicaux de prédilection pour Totoromoon ?
E : En plus du post-rock, qui demeure le genre le plus représenté sur le blog, je chronique également beaucoup de néo-classique, mais aussi de la dream pop, du shoegaze, un peu de folk, et de la cold wave qui me rappelle mon enfance.
KB : Comment sélectionnes-tu les groupes ou artistes que tu chroniques ? Reçois-tu beaucoup de demandes ?
E : Au commencement du blog, j’étais à l’affût des nouveautés des groupes que je connaissais déjà et que j’aimais. J’écrivais beaucoup de live reports aussi. Et puis peu à peu le bouche à oreille a fait que des groupes ont commencé à me contacter eux-mêmes et à parler du blog autour d’eux. Sont venus ensuite les attachés de presse, et les labels. A l’heure actuelle, je reçois une dizaine de demandes de chroniques chaque jour. Je suis attachée à toujours écouter les disques que les groupes et les artistes se donnent la peine de m’envoyer eux-mêmes, et à toujours leur répondre, que j’aie l’intention d’en écrire une chronique, ou pas. Je travaille aussi avec plusieurs attachés de presse et responsables de labels qui font la promotion des genres musicaux qui me plaisent, et sélectionnent avec soin les disques qu’ils partagent avec moi. En revanche, je n’ai en général plus le temps d’écouter les disques envoyés par des mailings listes établies par des attachés de presse qui ne sélectionnent pas suffisamment les destinataires de leurs envois. Je suis seule à faire vivre ce blog et ce n’est pas mon activité principale, je suis donc contrainte de faire des choix et de m’imposer des limites.
KB : Pas trop difficile de faire le tri parfois ?
E : Plus que difficile, c’est surtout que ça peut être frustrant. Je reçois beaucoup de beaux albums, mais je n’ai malheureusement pas le temps de chroniquer tous ceux qui me plaisent. Je dois parfois faire des choix compliqués.
KB : Parmi tous les artistes que tu as chroniqués depuis le début du blog, lequel t’as profondément marqué ?
E : Je suis depuis toujours fascinée par les one man band, ces artistes qui savent jouer de nombreux instruments et réalisent tout eux mêmes, de la composition à l’interprétation. Celui qui m’a le plus marquée s’appelle Hors Sujet. Il est le projet de Florent Paris, un artiste vivant à Toulouse, qui aime inventer et construire. De ses instruments à ses pédales d’effets en passant par ses pochettes de disques et ses films, Florent invente, détourne, déconstruit et reconstruit sans cesse. Il crée une musique émouvante et sensible, libre et habitée, dans des compositions à la croisée du drone, de l’ambiant, de la musique expérimentale et du post-rock, hors du temps et que je trouve sublimes de beauté.
KB : As-tu développé des contacts privilégiés avec certains artistes que tu as cités sur le blog ?
E : Je suis Hors Sujet, le projet de Florent, depuis le début, puisqu’il m’avait envoyé son tout premier EP. Nous avons correspondu pendant plusieurs années avant de nous rencontrer, lors d’un séjour de Florent à Paris, et nous sommes depuis devenus de très bons amis. J’ai aussi eu la chance de rencontrer de nombreux artistes que j’avais chroniqués de moi-même ou qui m’avaient envoyé leur musique, et d’avoir de vrais coups de cœur humains pour bon nombre d’entre eux. Les Français de Silent Whale Becomes a Dream, mon groupe de post-rock français préféré, mais aussi ceux de Féroces, Anathème, GrimLake, Echo Says Echo ou encore Bank Myna, dont certains sont devenus des amis très chers. A l’étranger, j’ai fait aussi de très belles rencontres avec les Américains de Glacier, qui se sont inspiré d’une de mes chroniques pour nommer leur dernier album No light ever, les Québecois de Appalaches, les Anglais de Vlmv, les Belges de We Stood Like Kings, et bien d’autres que je ne peux pas tous citer ici. Je correspond régulièrement avec certains, même en dehors de leurs activités musicales.
KB : Quelle est la périodicité de ton blog ? Écris-tu régulièrement ou selon ton envie ?
E : Je publie environ deux articles pas semaine, des chroniques d’albums le plus souvent, mais aussi des live reports ou des interviews. J’ai également une rubrique intitulée La douceur du mois, qui se concentre sur une pièce de musique particulière, tous genres confondus, et qui remet parfois en lumière des pièces anciennes ou oubliées.
KB : Reçois-tu beaucoup de visites sur ton blog ?
E : J’ai une petite communauté de lecteurs très fidèles, qui suivent le blog depuis ses débuts. A l’heure actuelle, Totoromoon compte environ 4 000 abonnés sur les réseaux sociaux ou par mail. Les jours où je publie, le blog reçoit entre cent et cent cinquante visites, les jours où je ne publie pas, entre cinquante et cent visites par jour. Les articles qui ont le plus de succès sont les tops musicaux que je publie en fin d’année, qui rassemblent tous mes albums coups de cœur de l’année écoulée. Ces articles comptent entre 500 et 600 vues le jour de leur mise en ligne, et continuent tout au long de l’année à être fréquemment consultés. Ce ne sont pas des chiffres pharamineux, mais je les trouve honorables pour un petit blog made in France ! Les visiteurs du blog viennent du monde entier, et les non francophones peuvent traduire mes articles rédigés en français grâce à un petit bouton de traduction automatique que j’ai installé.
KB : Il me semble avoir aperçu sur une photo que tu faisais de la basse. Pratiques-tu depuis longtemps ? Joues-tu dans un groupe ou plutôt chez toi ?
E : J’avais toujours rêvé d’apprendre le piano et la basse. J’ai commencé à apprendre le piano à l’âge de 7 ans, au conservatoire, et l’ai pratiqué quotidiennement pendant 13 ans. Je ne me suis mise à la basse que récemment, je débute tout juste, mais c’est un instrument que j’adore. Je pratique juste pour moi pour l’instant.
KB : Au-delà de tes chroniques musicales et de la pratique de la basse, j’ai vu sur ton blog que tu avais également publié un premier roman intitulé Invisible violence ? Peux-tu nous en parler ?
E : Oui, ce livre est à la fois un roman autobiographique et un roman d’apprentissage, qui traite de la construction de soi dans un contexte de violence invisible et de harcèlement moral au sein de la famille. C’est un sujet difficile, mais pour autant, ce n’est pas un texte triste. Je le voulais sans exhibitionnisme, sans rancœur, sans esprit de revanche. La seule revanche qu’il met en œuvre, c’est celle à prendre sur la vie : de la violence souterraine et silencieuse quotidienne, au choix de vivre. Tout au long de son cheminement, l’héroïne trouve en elle la force de se libérer de l’origine de la souffrance, de l’emprise, de la toxicité. La force de choisir la construction et l’épanouissement, la force de choisir la vie. De pouvoir dire : je vis, enfin. Je suis consciente que la lecture de ce livre peut être difficile émotionnellement. Elle l’est d’autant plus pour des personnes qui ont elles aussi souffert d’être confrontées à des personnalités toxiques. Mais mon souhait est qu’au-delà de la difficulté, sa lecture apaise le sentiment de solitude qu’éprouvent les personnes confrontées à ces situations, et apporte au final un peu de lumière et d’espoir au bout du chemin.
KB : Comment t’es venu l’idée d’écrire ce livre ? Quelles ont été tes motivations pour l’écrire ?
E : J’ai presque toujours écrit. Des journaux d’abord, puis des nouvelles, des textes courts. Puis j’ai commencé à écrire ce texte il y a quelques années, pour moi, sans réelle volonté de le faire publier. Il était comme un jet, un élan des tripes. Et j’ai réalisé que son sujet touchait un très grand nombre de personnes, bien plus que je ne l’imaginais au départ. Mon entourage m’a encouragée à chercher un éditeur et par la même occasion à donner forme à mon goût de l’écriture. Je l’ai donc longuement retravaillé, écourté, épuré pour l’axer sur la figure du père, le rapport père/fille et la construction de son identité dans le contexte de la maltraitance invisible, de la destruction et de la négation de soi, pour rendre au plus proche la tension quotidienne, l’oppression à l’intérieur du cercle familial, sans que rien ou presque ne transpire à l’extérieur.
KB : As-tu eu des bons retour de ton livre ?
E : Certains membres de ma famille l’ont lu, ceux desquels je suis la plus proche, avant même qu’il soit publié. Cela a permis de libérer une parole empêchée, de mettre des mots sur beaucoup de non-dits, de souvenirs enfouis, de souffrances cachées. Et cela nous a encore rapprochés davantage. Depuis la sortie du livre en 2013, et encore récemment, j’ai reçu beaucoup de témoignages à la fois enthousiastes et émouvants, et j’ai eu des échanges enrichissants avec de nombreux lecteurs et notamment des personnes ayant elles aussi souffert de violences morales et de maltraitance. J’ai eu la joie de constater que mon souhait d’apporter un peu de lumière et d’espoir au bout du chemin se réalisait. Aussi, par le biais de l’Association CVP - Contre la Violence Psychologique et des salons dans lesquels je me suis rendue pour parler de mon livre, j’ai pu aller à la rencontre de personnes ayant vécu des expériences similaires à la mienne, et également sensibiliser les gens sur ce sujet dont il est encore souvent difficile de parler.
KB : As-tu le projet d’écrire un nouveau roman ?
E : J’ai un autre texte en cours d’écriture, toujours avec une narratrice et toujours à la première personne, mais sur un thème beaucoup plus léger.
KB : Pour revenir sur le blog, as-tu des projets ou de nouvelles idées le concernant ?
E: J’aimerais avoir plus de temps à y consacrer pour pouvoir développer certaines rubriques, comme celle des interviews, mais je suis toujours entrain de courir après le temps donc pour l’instant c’est un vœu pieux plus qu’un projet !
KB : Sur quels réseaux sociaux peut-on te retrouver ?
E : Sur Facebook et sur Instagram principalement, et sur Twitter de manière très épisodique (je ne fais que partager mes articles sur ce dernier, car je n’ai jamais rien compris à ce réseau beaucoup trop foisonnant et dans l’immédiateté pour moi !).
KB : Merci Églantine d’avoir consacré du temps pour cette interview. Souhaiterais-tu ajouter un dernier mot pour conclure ?
E : Merci beaucoup Alan, et longue vie à Kaput Brain webzine !
Interview réalisée par mail en janvier et février 2020.
Baron Nichts