Ils sont passionnés de musique, mais pas forcément musiciens. Indispensables au réseau musical indépendant, ils s'activent A l'ombre des scènes, pour que les décibels jaillissent.

Activiste de la scène rock française et notamment bordelaise, Eloa Mionzé est une passionnée accomplie aux multiples activités. Travailleuse indépendante, membre d'un syndicat, d'un label associatif et d'un groupe, elle détaille pour Kaput Brain ses nombreux projets avec optimisme et détermination.
 

Crédit photo : Thierry Culnaert

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Kaput Brain : Salut Eloa. Merci de te prêter aux questions de Kaput Brain webzine pour cette interview « A l’ombre des scènes ». Pour débuter cet échange, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Eloa Mionzé : Salut Alan, merci à toi de m’avoir proposé cette interview, c’est tout à ton honneur de parler de ceux qui agissent dans l’ombre des artistes. Me présenter en quelques mots ? Alors voilà, je m’appelle Eloa Mionzé, je suis attachée de presse Rock indépendante sous le nom de Give ‘em Promotion, chargée de com’ au sein du label juste né Tadam Records, membre du Syndicat APRES (Attaché.e.s de Presse - Réseau - Entraide - Syndicat) et bassiste / chanteuse du groupe Atomic Mecanic.
 

KB : Comment t’es venue ta passion pour la musique, notamment pour le rock indépendant (Punk-rock, post-punk…) ? Quelles sont les artistes qui t’ont initié et qui te passionnent aujourd’hui encore ?

EM : J’ai baigné dans le Rock dès la naissance, et même in utero ;). J’ai grandi avec Hendrix, Frank Marino, Pink Floyd, Led Zeppelin ou encore The Police dans les oreilles, la musique Rock a toujours fait partie de ma vie. Je me suis naturellement dirigée vers le Punk Rock et le Post Punk plus tard, vers la fin du collège puis au lycée avec Nirvana, Millencolin, Blink 182, Operation Ivy, NoFX, Anti-Flag, Dead Kennedy’s, Minor Threat, The Exploited, par exemple, et des groupes indés comme No Talents, Mum Is Trunk, Neurotic Swingers, Hawaii Samurai, Demolition Girl and The Strawberry Boys, TV Killers, The Tommy Guns, The Wangs, pour n’en citer que quelques uns. J’ai goûté à la culture indé à cette même période, quand j’ai commencé à aller voir et à prendre part à l’organisation DIY de concerts à La Rochelle, avec les membres du groupe de Punk 77 Flying Over, dont mon cher et tendre (Gunboy, le batteur), et Ludo, avec qui j’ai débuté la promo pour les groupes quelques années après pour son label Adrenalin Fix Music. Comme chacun, mes goûts musicaux ont évolué au fil de ma vie, aujourd’hui j’écoute plus de Post-Punk, sans non plus bouder le Punk et le Garage, Jay Reatard reste le n°1 indétrônable de mon top, mais je continue d’écouter les groupes de mon adolescence avec autant de passion, et sans aucune honte.
 


 

KB : Tu travailles depuis quelques temps maintenant comme attachée de presse auprès de groupes rock indépendants. Comment décrirais-tu ton métier ?

EM : Je pense que la définition la plus simple est que nous sommes des travailleurs de l’ombre, engagés pour mettre les artistes dans la lumière. Nous devons répondre aux ambitions des artistes, tout en leur apportant la rationalité de ce qui peut être réalisable ou non, notamment avec le grand développement. Il y a beaucoup d’idées reçues sur le métier d’attaché.e de presse, et nombre de personnes n’ont pas idée du taf de fourmi que ça peut être ! C’est mettre à jour ses données constamment, en recueillir de nouvelles, c’est aussi formuler un grand nombre de demandes, pour recevoir peu de réponses, et donc relancer, et relancer encore.

Heureusement, ce sont aussi des relations indéfectibles, solidaires et parfois même amicales avec des journalistes, pigistes, programmateur.ices passionné.e.s, la satisfaction de faire découvrir des artistes, et de rencontrer des groupes, des manageur.euses, et partager de bons moments avec toutes ces personnes, quoi !

KB : Comment devient-on attaché de presse ? Est-ce que ça été pour toi une opportunité ou une réelle envie professionnelle ? Revendiques-tu de travailler pour des groupes indépendants ?

EM : Bienvenue dans notre émission de cuisine, aujourd’hui la recette de l’attaché de presse musique : alors vous prenez des concerts, de la bière, des festivals, beaucoup d’écoutes de disques, pas mal de mémoire, de la bière, de l’autodiscipline aussi quand même, de la rédaction, des heures au téléphone, en prenant soin d’oublier la notion de vacances et de weekends, encore des concerts, des tonnes de mails, un bon paquet de vents, et mélangez tout ça avec détermination ! Ouah j’suis partie loin là non ? (Rires).

Plus sérieusement, dans mon cas, c’est une opportunité qui m’a été proposée par Ludo, dont j’ai parlé juste avant, le label manager de Adrenalin Fix Music. Il m’a demandé un jour de lui filer un coup de main pour promouvoir la sortie du premier album et la tournée de Videodrome, groupe Synth Punk de Bordeaux. Je suis alors partie d’une liste d’une cinquantaine de contacts pas vraiment à jour, à laquelle j’en ai ajouté d’autres, chaque jour ou presque, jusqu’à maintenant.
 


 

Cette opportunité m’a aussi été donnée par tous ceux qui m’ont répondu, comme toi, Alan, qui avait accepté de chroniquer cet album pour Kaput Brain Webzine, ce qui m’a donné envie de continuer à défendre ce disque, puis d’autres groupes du label par la suite. Tout ça est venu un peu sans vraiment y réfléchir, mais il est évident que si tu te vois révéler une possibilité d’allier passion et profession, tu prends non ?

Non seulement je revendique défendre des groupes indépendants, mais je revendique tout autant travailler avec des médias indépendants, et passionnés avant tout.

KB : Après avoir travaillé pour le label Adrenalin Fix Music, tu bosses donc aujourd’hui en « solo ». Pourquoi avoir crée pour ta propre structure ?

EM : Ce que j’ai pu apporter à Adrenalin Fix Music en tant que bénévole m’a permis de me constituer un réseau de médias et d’apprendre les bases du métier, en grande partie en autodidacte. Les différentes personnes avec qui j’ai pu collaborer m’ont apporté le reste. Et parce que je voulais continuer cette activité à temps plein mais qu’il fallait également que j’arrive à gagner un salaire, j’ai fait un peu de formation et sauté le pas de me lancer en statut d’auto-entrepreneur, de manière à officialiser mon activité d’une part, et avoir la possibilité d’ouvrir mes services à d’autres groupes, d’autres labels, des tourneurs, etc… C’était d’ailleurs pas gagné avec la pandémie, alors avec mon confrère Yann Landry, attaché de presse indé sous le nom de La Tête de l’Artiste, nous avons décidé de nous associer pour manger moins de jambon-beurre!
 

KBW : Étant désormais ton propre patron, comment choisis-tu les artistes avec qui tu travailles ? Quels rapports entretiens-tu avec eux ? Les rencontres-tu régulièrement (exception faite du COVID-19) ou échanges-tu exclusivement avec eux par le web ?

EM : (Rires) Y a que quand je fais de la couture que j’utilise le mot “patron” !  Les artistes, si ce sont des gens sympas, et que j’ai headbangé en écoutant leur projet, alors c’est okay ! La relation qui se met en place par la suite vient naturellement, parce que chacun est différent, il n’y a pas de règle pré-établie. Mais effectivement, j’ai tendance à privilégier le côté humain dans ma relation avec les groupes, lorsque cela est possible évidemment. Souvent, la distance nous sépare, et en ce moment, c’est même bien plus compliqué…

KBW : Quelle est la plus belle visibilité que tu aies réussi à obtenir pour un groupe ? Aurais-tu une anecdote à nous raconter ?

EM : La plus belle campagne promo que j’ai pu faire, c’était pour la sortie du premier album des Scaners, parce qu’au delà de la visibilité, c’était humainement super intéressant : J’ai travaillé en binôme avec Matt Hunter (attaché de presse de Dirty Water Records à l'époque, et qui habite aux Etats-Unis, à 9 heures de décalage horaire) sur la promo nationale et internationale. C’était particulier parce que les réunions à distance avec Matt se passaient parfois quand c’était la nuit ici, et malgré tout nous avons réussi à synchroniser une première avec La Grosse Radio pour la France, et The Spill Magazine pour le Canada. Six labels étaient réunis en co-production pour ce disque, j’t’explique pas à quoi ressemblait la boucle de mails (Rires) !!
 

KBW : A travers ton métier, tu as contribué il y a quelques mois à la création du syndicat Après (Attaché.e.s de Presse Réseau Entraide Syndicat) que tu as précédemment cité. Quel est son objectif et pourquoi cette structuration ? Quel est ton rôle au sein de cette association ?

EM : Il s’agit d’un objectif commun qui a été mis en évidence pour chacun dans la difficulté, lors du confinement. Les attaché.e.s de presse qui exercent dans le domaine de la culture en général ne rentrent dans aucune case, elles-ils ne sont pas intermittents, mais sont impactés au même titre que ces derniers face à la crise, et sous leurs formes juridiques différentes, ne sont même pas tous.tes reconnu.e.s comme appartenant à la culture. L’objectif premier et à court terme, nous l’espérons, est de faire entendre nos voix auprès des institutions françaises et du gouvernement, faire reconnaître notre profession et être inclu.e.s dans la gestion de la crise. L’objectif à plus long terme est de définir quelles sont les missions et les limites de notre métier, en terme de déontologie, de rémunération aussi, et de créer un système d’entraide et de réseautage. Nous aurons pour mission également de participer activement au combat contre le harcèlement sexuel dans la profession.

J’ai pas la prétention de dire que j’ai un rôle particulier dans le syndicat. Avec quelques consœurs et confrères, nous avons mis nos idées en commun, débattu, nous nous sommes entendus, pour faire avancer nos intérêts communs, que nous soyons auto-entrepreneur ou grosse structure, que nous soyons débutant ou expérimenté.
 

KB : Le syndicat est né dès le début de la crise du COVID-19 que ta profession subit de plein fouet. Ces difficultés financières et ce manque de reconnaissance ne sont-elles pas finalement plus anciennes ? Le métier d’attaché de presse n’est-il pas depuis au demeurant précaire ?

EM : En effet le métier n’a jamais été reconnu comme une profession à part entière, sans doute du fait de la discrétion de ses acteurs, d’où la précarité aujourd’hui exacerbée par la pandémie. L’idée du syndicat avait déjà été abordée entre certain.e.s consœurs et confrères, depuis quelques années, mais cela n’avait pas été concrétisé… C’est dans donc l'urgence que les forces se sont mutualisées, et nous sommes en bon chemin. Vaut mieux tard que jamais !

KB : Au-delà de cette initiative collective, comment juges-tu l’évolution de ton métier ces dernières années ? Est-il plus difficile aujourd’hui de promouvoir le rock au sein de la presse généraliste ou spécialisée, elle-même en constante évolution qu’elle soit en format papier ou en ligne ?

EM : D’une manière générale, il est plus difficile de promouvoir le Rock tout court, encore plus le développement, je n’ai pas d’élément de comparaison étant donné que je ne promeus que du Rock, qui plus est du développement ! Ce qui est sûr, quand on promeut de la musique underground auprès des grands médias généralistes, c’est qu’il ne nous reste que les miettes à nous partager dans l’espace de promotion disponible. C’est pourquoi je privilégie tout autant les petits médias indépendants, qui représentent moins d’audience certes, mais ajoutés les uns aux autres, vont couvrir malgré tout une audience très significative, en mettant nos artistes en avant avec beaucoup d’enthousiasme.

Les médias s’adaptent à leurs lecteurs, nous nous adaptons aux médias… Parce qu’au final nous formons une chaîne, un écosystème, en constante évolution. Cela passe désormais par plus de web, c’est vrai, mais il faut continuer à soutenir les fanzines DIY, et les émissions pirates qui se font de plus en plus rares.

KB : En parallèle de ton activité d’attachée, tu as également contribué il y a quelques semaines à la création du label Tadam Records. Peux-tu nous le présenter en quelques mots ? Pourquoi as-tu souhaité participer à ce projet ? Quels groupes composent votre catalogue ?

EM : Tadam Records, c’est une association de gens un peu foufous de lancer un label en pleine crise sanitaire ! Et comme j’aime bien les foufous parce que moi aussi je suis un peu fofolle, j’ai accepté tout de suite. D’un truc négatif (et pas des moindres, une pandémie !) est né un truc super positif, et pensé pour le turfu: un label de musique Rock à 360° avec management, booking et promo, écocitoyen, égalitaire, et coopératif.

Nous démarrons avec un roster (déjà complet pour cette année, sorry !) de 5 groupes foufous qui font du Rock, mais dans des styles différents: Steve Amber (Psyché), L’Ambulancier (Post Punk), Captain Obvious (Hardcore), She Wolf (Grunge) et Shoefiti (Fuzz Noise).

Ça va être une belle aventure et je pense que c’est une nouvelle qui fait du bien au moral !
 

 

 
 

 

L'équipe de Tadam Records au complet
 

KB : Vous présentez le label comme étant une structure « fraternelle, égalitaire et coopérative », défendant notamment des valeurs écologiques et féministes. Pourquoi souhaitez-vous précisément défendre ces valeurs ? Sont-elles si peu reconnues dans la scène rock selon toi ?

EM : Nous pensons qu’il est grand temps de faire évoluer les mentalités et les comportements dans la musique, parce que les femmes n’y sont pas particulièrement représentées pour ce qu’elles sont, autant en tant qu’artistes qu’en tant que techniciennes, bookeuses, managers, etc… Le milieu de Rock a aussi été ébranlé dernièrement par un certain nombre de témoignages effroyables, libérés notamment grâce aux mouvements #MusicTooFrance et #ChangeDeDisque. Notre ambition est donc de participer à ce changement, à notre niveau, pas forcément en terme de quota, car cela ne voudrait rien dire, mais vraiment en terme d’égalité de traitement et de compétences. Pour le côté écocitoyen, il s’agira de privilégier des filières courtes, et une réduction au maximum de l’utilisation des plastiques pour les disques et le merchandising.

KB : A l’heure de la « digitalisation » de la musique, comment se positionne Tadam Records sur la vente de la musique ? Privilégiez-vous le support physique ou numérique ?

EM : Bien que la musique digitale apparaît comme une évidence pour les valeurs écocitoyennes revendiquées par Tadam Records, le problème est qu’elle ne permet pas la rémunération des artistes à la juste valeur de leur travail et de leur investissement, du moins telle qu’elle est organisée aujourd’hui sur les plateformes de streaming. C’est pourquoi le label va plutôt proposer un abonnement HelloAsso, qui permettra à ses adhérents de recevoir toutes les productions (physiques et/ou numériques) de l’année, et puis aussi du merch, des goodies, des invitations (quand on pourra faire des concerts), les news en exclu...

KB : Sur ton temps libre, tu es bassiste pour le groupe Atomic Mecanic. Un petit mot sur cette formation ? Quelles sont vos projets alors que les concerts sont toujours à l’arrêt ?

EM : Atomic Mecanic c’est un trio guitare / synth / basse / batterie Garage Post Punk. Nous avons sorti une première K7 7 titres en 2018, et nous avons écrit bien d’autres morceaux depuis. Nous avions le projet de faire plein de concerts en 2020 pour nous payer un enregistrement, mais le confinement et les restrictions gouvernementales nous ont considérablement freinés. Nous attendons donc avec impatience des jours meilleurs, en chialant devant nos vidéos de lives préférés et en noyant notre chagrin dans du rhum. ON VEUT JOUER BORDEL !!!
 

 

KB : Atomic Mecanic contribue à l’émulation réputée de la scène rock bordelaise. Quel regard portes-tu sur cette dernière ? Quel en est ton groupe du moment ?

EM : C’est vrai que la scène Rock bordelaise est riche, et cette richesse, nous la devons à des groupes, mais aussi à des lieux, à des labels, à des fanzines, à des personnes qui ont écrit sur cette scène Rock bordelaise, et au public évidemment. C’est encore une fois un écosystème fondé sur des valeurs humaines et souvent solidaires.

J’ai pas à proprement parler de groupe bordelais du moment, mais j’attends avec impatience de voir ce que va donner le nouveau groupe des potes ex-DIrt, et de revoir l’Inter Du Milieu en live ! Sinon j’aime bien aussi ce qu’il se passe du côté de chez Flippin’ Freaks.

KB : D’une manière plus générale, quel opinion portes-tu sur l’évolution de la scène rock indépendante française ?

EM : Elle a encore de beaux jours devant elle, on peut le constater chaque jour face à l’adversité, et si les mentalités continuent d’évoluer dans le bon sens, la scène Rock du turfu sera au top !

KB : Suite à cet entretien, on imagine sans mal que la musique est pour toi une passion très dévorante. Pas trop difficile de jongler entre tous tes projets ?

EM : Quand t’as des gosses, tu passes maître en l’organisation ! ;) Il y a un temps pour chaque chose, et chaque chose en son temps.

KB : Merci d’avoir répondu à mes questions. Avant de conclure, que peut-on te souhaiter pour l’année 2021 ?

EM : Le retour des concerts, des pogos, des festivals, d’une bière au comptoir avec des potes, des accolades avec des inconnus, ce qu’on peut souhaiter à tous en fait, à toi aussi Alan par exemple, je sais que c’est ce que tu espères aussi pour Baron Nichts ! Et si nous retrouvons cela, tout le reste viendra avec ! Avec plaisir, merci à toi !

Interview réalisée par mail en janvier 2021.
Baron Nichts

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